Les ânes dans la grande guerre


Verdun, les ânes blessés


Le choix de l’Armée se porte donc sur cet équidé, d’une taille somme toute plus petite que le mulet. 

Depuis le 21 février 1916, les Allemands mènent une offensive sur Verdun. La bataille fait rage, engendrant des milliers de morts et de blessés de part et d’autre.  Le front français est alimenté, depuis Bar-le-Duc, par une noria de camions, acheminant troupes, armes, munitions et vivres. Cette route reliant Verdun est baptisée : la Voie Sacrée. Mais sur le champ de bataille, pour cheminer dans les boyaux et tranchées, il est impossible de compter sur le modernisme de l’époque. Le transport du ravitaillement, jusqu’au plus près des 1ères lignes, s’avère compliqué et très dangereux en raison des très fréquents tirs de barrage. L’armée d’Orient utilisent bien des mulets pour le transport. Mais, le théâtre des opérations est totalement différent. Ce n’est pas une guerre de tranchées comme en France. Le mulet est d’une taille ne lui permettant pas d’évoluer facilement et rapidement à travers l’exiguïté des boyaux et tranchées.

La solution : les ânes d’Afrique du Nord.

Le choix de l’Armée se porte donc sur cet équidé, d’une taille somme toute plus petite que le mulet. 

Un premier essai est organisé à Verdun vers la fin du printemps. Une commission militaire se réunit pour tester une vingtaine d’ânes affectés au ravitaillement du fort de Souville et du front Fleury-Thiaumont. L’expérience est concluante. Elle a permis de constater que le cousin du cheval était plus que lui réfractaire à la peur. De plus, lors d’un bombardement, ces animaux protégeaient leurs conducteurs contre les éclats d’obus. Telle l’expose la revue universelle et populaire illustrée « Lectures pour tous » en octobre 1916 sous le titre « BRAVES PETITS ÂNES ! ».

Ces petits équidés ne tardent pas à gagner en notoriété, au point de bénéficier d’écrits dans la presse. Outre, la revue universelle et populaire illustrée « Lectures pour tous » précitée, le journal « Le miroir » y consacre aussi des articles. Le site Gallica – Bibliothèque Nationale de France conserve les versions numériques, consultables.

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Ces ânes, s’ils ne trouvent pas la mort sur le champ de bataille, souffrent de blessures nécessitant des soins. L’état-major de la 2ème Armée française décide alors d’installer à Neuville-Lès-Vaucouleurs, commune de la Meuse, située à 80 kilomètres au Sud de Verdun, un hôpital dédié aux ânes. Des granges y sont réquisitionnées et permettent d’accueillir, en permanence 300 de ces équidés. Dès guérison, comme les soldats, ils rejoignent le front pour servir en 1ères lignes

Le 11 novembre 1918, l’Armistice est signé, puis la Paix en 1919. Toutes les communes de France érigent des monuments à la gloire de leurs enfants morts au champ d’honneur.

Les animaux, auxiliaires de ces derniers, sombrent dans l’oubli.  Puis, années après années, ils renaissent de leurs cendres, grâce à des initiatives locales ou associatives. Tel est le cas pour les ânes. Fin des années 1990, l’Association Nationale des Amis des Anes (ADADA), par l’entremise de son président Raymond Boissy, appose une plaque commémorative à Neuville-Lès-Vaucouleurs. rappelant l’existence de l’hôpital destiné aux ânes, créé en 1916 au cœur de ce village.

Mais est-ce assez de reconnaissance ? La municipalité de Neuville-Lès-Vaucouleurs et l’association ADADA se concertent pour un projet plus ambitieux qu’une simple plaque. Pourquoi ne pas créer un monument dédié ?

Avec l’aide de la Fondation du patrimoine de Lorraine et une campagne de mécénat populaire à destination des particuliers, des entreprises et des associations, ce projet devient réalité. Le monument est sculpté par un artiste reconnu, Denis Mellinger associé à la fonderie d’art de Joël Huguenin.

Les 30 et 31 juillet 2016, Neuville-Lès-Vaucouleurs organise les commémorations dans le cadre du centenaire de la bataille de Verdun. La statue à la mémoire des ânes morts au cours de la grande guerre est inaugurée et trône désormais fièrement au cœur du village.

(Sources et collaborations : mairie de Neuville-Lès-Vaucouleurs et l’association ADADA. Avec les remerciements de la Section de la Fédération Nationale André Maginot des Hautes-Pyrénées)


A savoir :


Un précieux auxiliaire

« Chaque bourricot muni du bât algérien et de ses couffins porte facilement 60 kg de matériel, soit la charge de quatre hommes. (….). L’emploi des ânes permet une économie de 90% des hommes employés au ravitaillement des premières lignes. (….) »

(Source : Héros oubliés – les animaux dans la Grande Guerre, page 110 – Jean-Michel Derex – Editions Pierre De Taillac et ministère des Armées – 3ème édition mars 2021)

Un lourd tribut envers la Nation

« Au cours du conflit, les ânes tués ou morts de maladie ou par manque de nourriture furent bien plus nombreux que celui des chevaux pour la simple raison qu’ils furent les seuls animaux à monter en première ligne chaque jour. »

(Source : Bêtes de guerre 1914-1918, page 116 – Patrick Bousquet et Michel Giard – Editions Histoire et documents, De Borée)

L’initiateur du projet

« Philippe Pétain, condamné pour sa politique collaborationniste avec les nazis durant la seconde guerre mondiale, joua un rôle majeur durant la Grande Guerre. (….). C’est lui qui, à Verdun, a organisé les premiers convois d’ânes pour approvisionner les soldats en vivres et munitions »

(Source : Bêtes de guerre 1914-1918, page 112 – Patrick Bousquet et Michel Giard – Editions Histoire et documents, De Borée)

Servir l’armée française sans être recensé.

« (….) On ne sait pas grand-chose de ces bêtes. Les états statistiques des vétérinaires n’en font pas état. Pourtant, ils sont soignés, comme en témoignent les photos. (….). »

(Source : Héros oubliés – les animaux dans la Grande Guerre, page 111– Jean-Michel Derex – Editions Pierre De Taillac et ministère des Armées – 3ème édition mars 2021)


Histoires d’ânes


L’âne Constantin

« Dans les archives du mémorial de Verdun, il est fait mention d’un âne Constantin. Un obus le blessa grièvement, le criblant d’éclats, lui arrachant les oreilles et lui crevant un œil. Mais, plutôt que de l’abattre, les soldats ont conservé ce grand mutilé de guerre comme compagnon »

L’âne Murphy

« Murphy, un autre âne, reçut une décoration : son maitre, le lieutenant Simpson, transportait des blessés sur son dos. Un jour le lieutenant fut fauché. L’âne ramena le blessé qu’il transportait. »

(Source : Les animaux dans la grande guerre, page 45 – Jean-François Saint-Bastien – Edition Sutton – 17/04/2023

Depuis 2015, une pièce de monnaie est à son effigie. Celle-ci fait partie d’une série de pièces frappées par le Royal Australian Mint (Monnaie Royale de l’Australie) commémorant le Corps expéditionnaire Australien et Néo-zélandais ANZAC durant la première guerre mondiale.

(Source : Site web « La Maison du Collectionneur » – Mise en ligne 15 avril 2015)

Thierry Ramoné, Délégué FNRG – GR 189 de Lannemezan